#0061 Robert GOFFIN


Le poète belge Robert Goffin dont on a célébré en 1998 le centième anniversaire de la naissance, a traversé le XXème siècle. Il aura marqué son temps par son talent immense, sa personnalité hors du commun et son amour du jazz. Grand voyageur, ami des célébrités d’Europe et d’Amérique, hédoniste invétéré, ce brillant avocat a vécu hors des normes littéraires belges, tout en faisant cependant partie de …l’Académie.
GOFFIN Robert, Chroniques d'outre-chair, 1975, Guy Chambelland
A quatre-vingt ans, une vie de souvenirs et de jazz en poèmes.
Hommage à la bière: "Pale-Ale aux bulle pontificales dont Louis Armstrong disait qu'elle était l'âme du jazz"
Le dernier round: "Tous les airs de jazz dédiés aux pêches juteuses de la Géorgie / Sont moulus -du ragtime jusqu'au swing- dans le ghetto […] Diana Ross passe radioactive dans des rayons oculaires de sémaphores […] Les champions du jazz et de la danse exultent fièrement"
La foudre sans fin: "Où je retrouvais la belle chanteuse noire Billie Holiday […] Chaque nuit l'amour accélère son intensité aux barattements du jazz"
Femmes musicales (à Marc Danval): "Puis Sacha Distel m'avait restitué le geste de Ray Ventura / Avant que Dinah Shore ne couronnât cette débauche d'étoiles / Mais de tout cela je ne m'accrochai qu'au jazz inattendu / Des notes et des sons qui se cherchaient en moi -sol fa dièze fa mi […] Quand les allumeuses du fox-trot syncopé offraient leur dédale / De chair disponible sous le caban agressif d'un jazz noir / La trompette de Briggs aux lèvres de crevette cuite taillait le rythme […] Et je m'agrippe au refrain frémissant qui réincarne Billie […] Et dans ma cime d'amalgame les psaumes de Billie / Me touchent encore de leurs lasers de perdition au tranchant sournois […] Dans un mélange que le jazz avait soudé malgré le Jim-Crow […] Déjà Billie Holiday défoncée de rythme et de drogue / Est retournée à la gourmandise de l'éternité- ne laissant au monde / que ses disques tragiques qui provoquent la fièvre vaudou"
Ostende: "Mais c'est surtout quand le jazz investit Ostende que je rançonnai / Les nuits éclaboussées de femmes fatales d'enseignes lumineuses et d'alcool […] Je revois encore le Mitchell's Jazz Kings aux estrades du Helder […] A la rampe suivante Billy Smith écrasait les chiens du Wabash blues / Tandis qu'un trombone à coups lisses coulissait vers le cœur des belles […] Je revois encore Jimmy Dorsey et Georges Brunies dialoguer / Ruisselants de swing- en improvisations percutantes / En face de l'orchestre de Ted Lewis coiffé d'un tuyau de poêle […] Je conférenciai dans la grande salle débordante d'épaules nues / Alors que les trois anches enlaçaient les femmes à coups de sax-appeal […] Quand June Cole arborait la pleine lune de son souzaphone"
Le camp du drap d'or: "Toutes les nuits de jazz surnageaient au fil à plomb du désir […] Billie Holiday se soudait à mon corps entre deux voyages de marijuana"
La messe au poivre: "Enfin on dédiait les toxines du jazz à la mythologie du dollar / Le maire nègre de la ville souriait de toutes ses dents au néon / Les chœurs noirs et blancs hurlaient leurs lamentations swing […] Comment cette musique née du fond des entrailles nègres dans les bouges / Au royaume sexuel des filles au couteau et des souteneurs de Basin Street / Avait-elle -en quelques lustres- rejoint l'inattingible (sic !) clan de l'argent / Aussi fermé que la cour de louis XIV mais avec Jelly Roll pour Lully […] Que tout n'était pas perdu pour les poètes qui crèvent de faim / Puisque les évêques s'adonnent au jazz et célèbrent des messes syncopées"
Boris Vian: "Puis nous descendîmes dans la cave minuscule avec Delaunay / Pour écouter la jurisprudence rythmique de Dizzie Gillespie / Quand il sut que j'avais écrit plusieurs livres sur le jazz / Et que j'avais vécu de longs mois à la Nouvelle Orléans / Il ne s'occupa plus que de moi et nous sortîmes soudés à l'autogène […] Nous ramâmes -pélerins de l'anthracite- en évoquent Billie et Lena Horne […] Tandis que Luter accroché sans pitié à la matraque de sa clarinette / Exprimait des cîmes de Vaudou dans un délire de dérapements / Où Mogwli hoquetait entre le tuba et le tambour de Buridan […] Boris souriait aux anges de 1946 et jouait le Saint Louis blues […] Il vivait de mourir imperceptiblement de swing et d'insomnie […] Plus tard, sous l'enseigne des mains de Chittison parut Jazz 47 […] Nous voici avec Roy Eldridge au parfum des îles de la Rhumerie / Don Byas le ténor de droit divin désossait son saxophone […] Je me suis regardé pâlir dans les écluses haletantes du jazz […] Quand Lil Armstrong -héritière du génie- jouait de vieux airs / Entre Boris et moi il y avait trois cents kilomètres de longueur d'onde"
29 décembre 1926: "Où je communiais avec le pouls du tam-tam nègre de la Nouvelle Orléans / Je dactylographiais sur mon piston tout en virages les blues des haleurs […] Les Georgians cisaillaient Copenhagen ou Sweet sixteen à l'Alhambra […] Je ne passai de jour en jour au jeu de l'oie de la vie / Qu'avec le cran d'arrêt de fiancer le jazz aux métaphores de couleur"
Capitale du jazz: "Ici fut l'estrade où Bob Lyons le musicien de Bolden cira mes chaussures […] Là où Big Eye Louis Nelson me prouva que le jazz était né en 1900 […] Adieu l'orphelinat où Louis Armstrong cisailla son embouchure de cuivre […] Et sur toutes les ruines préhistoriques de mon passé en quête dejazz […] C'est là que le jazz est né du côté du bistrot de Tom Anderson […] Un peu plus loin ils ont ouvert un musée du jazz qui ne désemplit pas […] Comme il y a trente ans le jazz et l'amour fermentent dans l'ombre […] Enfin on prépare un mémorial monumental au roi du jazz Satchmo / Depuis ce matin il y a un franc belge dans les limons du Mississipi".

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